Bosnie-Herzègovine et Croatie 1992/1995

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Texte de Jacques Serena pour l'exposition dans les FNAC
« Les abrutis ne voient la beauté que dans les belles choses, disait je ne sais plus qui, mais je sais que Sophie Hatier n’est pas de ceux là.
C’est qu’aujourd’hui, la beauté, depuis qu’on ne peut plus l’imaginer demain, il faut bien apprendre à la voir dans ce qui est. Qu’on peut voir, là ou là.
Là, des événements ont lieu. Les événements se sont tassés, il reste des lieux. Et des gens fatigués. Restes, vestiges, bribes, débris, décombres, traces et fantômes, s’attardant, encore un peu inutilement. Pour rien de réputé utiles. C’est l’heure ou il n’est même plus question de bilan. Ce qui pourrait être dit, ou fait, l’a été, ou ne l’a pas été, de toute façon, c’est trop tard, comme pour l’amour, comme pour tout, quand on s’aperçoit que c’est fini, c’est qu’il y a longtemps que c’est fini. C’est l'heure sereine ou avoir fait une chose, ou le contraire, ou rien, revient à peu près au même. Ce qui a été, a été anecdotique.
Tu te rappelles, quand, et quand. Essayer de rassembler quelques faits un peu marquants, quelques marques, s’aider, si on veut, veut être d’accord, l’accord c’est si on veut, quand c’est foutu. Ou plus tard, quand toute trace aura disparu, l’accord c’est aussi, l’oubli.
Pas grand chose ici pour signifier. Presque rien au secours pour comprendre. Ces lieux ont le tact de se montrer tels quels, de ne pas chercher à se justifier. Simplement on entre dans les détails. Par quoi la folie et sa misère inhérente sont visibles. Simplement plus visibles. Il y a toujours un endroit ou ça se voit plus, comme sur une pomme.
Regarder ces bouts de monde en l’état pour sentir qu’on est là. En est encore là. Se rendre à cette évidence. Que c’est là, toujours qu’on en revient, chaque fois que des gens s’y sont cru, se sont trouvé des raisons pour. Là qu’on se retrouve, à scruter les pièces à convictions qui témoigneront quelques temps que là a été tenté quelque chose. Là des gens avaient trouvé à jouer des rôles, s’y sont employés, et ça a mal tourné. Fatalement.
Mais ceux qui sont là, comment ne pas se demander ce qu’ils vont imaginer d’autre. Parce qu’il s’agit bien d’imagination, d’inventer autre chose. Autre chose à faire.
Et, partant, d’autres plus ou moins bonnes raisons de faire.
Ce qu’on sent, ne peut s’empêcher de sentir, c’est le vieux cauchemar chronique. Il était une fois de plus. Alors toujours la même question.
Dans ces visages se demander comment d’autres ont fait pour trouver ceux-là autre.
Comment d’autres ont pu nier ces semblables-là.
L’éventualité ne m’échappe pas que c’est ainsi que moi, là, je vois les choses. Mais autrement, je ne vois plus rien. Et c’est à ce prix-là que je peux sentir, au-delà de ces lieux et gens mis à nu, condamnés.
Ou que Sophie Hatier est une artiste. Il faut bien qu’un esprit, ou un lieu, soit lézardé, pour qu’on puisse, à travers lui, entrevoir un au-delà."